
Travailler à l'étranger est souvent perçu comme une chance, une étape valorisante dans une carrière. L'expatrié incarne l'image du professionnel mobile, adaptable, ouvert sur le monde. Pourtant, derrière cette vitrine séduisante se cache une réalité plus complexe : celle d'une pression silencieuse, souvent intériorisée, qui peut affecter la santé mentale sans que l'on s'en rende compte. Prévenir cette souffrance, c'est d'abord apprendre à la reconnaître, puis à l'apprivoiser.Â
L'enthousiasme des débuts… et ses reversÂ
L'arrivée dans un nouveau pays s'accompagne souvent d'un mélange d'excitation et de stress. Tout est nouveau : les collègues, les codes sociaux, les attentes professionnelles, parfois même la langue. Cette phase, proche de la « lune de miel » décrite dans le choc culturel, peut masquer une tension intérieure. L'envie de bien faire, de s'intégrer, de prouver sa valeur peut devenir une source de pression constante.Â
Dans le monde du travail, cette pression se traduit par :Â
- Une hyper-disponibilité (répondre à tout, tout le temps). Â
- Une sur-adaptation (ne pas montrer ses limites). Â
- Une peur de l'échec (ne pas « gâcher » l'opportunité). Â
Ces comportements, bien qu'encouragés dans certains environnements, peuvent épuiser les ressources psychiques à moyen terme.Â
Le syndrome de l'imposteur en contexte interculturelÂ
Le syndrome de l'imposteur est un phénomène bien documenté : il touche des personnes compétentes qui doutent de leur légitimité. En expatriation, ce syndrome peut être amplifié par :Â
- La barrière linguistique. Â
- Le manque de reconnaissance explicite. Â
- La difficulté à décoder les normes implicites. Â
Une étude menée par Bravata et al. (2020) montre que ce syndrome est particulièrement fréquent chez les professionnels en transition, notamment les expatriés. Il peut se manifester par :Â
- Une tendance à minimiser ses réussites. Â
- Une peur d'être « démasqué ». Â
- Une auto-critique excessive. Â
Reconnaître ce mécanisme est une première étape vers la prévention. Il ne s'agit pas de le faire disparaître, mais de l'apprivoiser.Â
Les attentes implicites : un poids invisibleÂ
L'expatrié porte souvent des attentes implicites :Â
- De la part de l'entreprise : être performant, autonome, exemplaire. Â
- De la part de la famille : réussir, s'épanouir, ne pas se plaindre. Â
- De la part de soi-même : justifier le choix, ne pas décevoir. Â
Ces attentes peuvent créer une forme de tension intérieure, difficile à verbaliser. Elles alimentent une pression silencieuse, qui s'installe progressivement.Â
Pratique préventive : l'auto-validation hebdomadaireÂ
Pour contrer cette pression, il est utile de mettre en place un rituel d'auto-validation. Chaque fin de semaine, prenez 20 minutes pour :Â
- Lister trois réussites concrètes (même petites). Â
- Identifier une compétence que vous avez mobilisée. Â
- Écrire une phrase valorisante à votre sujet (ex. : « J'ai su gérer une situation complexe avec calme. »).
- Noter une émotion ressentie au travail et ce qu'elle vous apprend.Â
Ce rituel permet de renforcer l'estime de soi, de prendre du recul et de créer un espace de reconnaissance personnelle. Le rôle du corps : un indicateur précieuxÂ
La santé mentale se manifeste aussi dans le corps. En expatriation, les signaux physiques peuvent être les premiers indicateurs d'un déséquilibre :Â
- Troubles du sommeil. Â
- Fatigue persistante. Â
- Tensions musculaires. Â
- Maux de tête récurrents. Â
Plutôt que de les ignorer, il est utile de les considérer comme des messages. Le corps parle souvent avant que l'esprit ne comprenne. Prendre soin de son corps (alimentation, mouvement, repos) est une forme de prévention active.Â
Se poser les bonnes questionsÂ
Voici quelques questions à explorer régulièrement :Â
- Est-ce que je travaille pour répondre à une attente extérieure ou à un désir intérieur ?Â
- Est-ce que je me sens reconnu dans mon poste ? Â
- Est-ce que je peux exprimer mes limites sans crainte ? Â
- Est-ce que je prends du plaisir dans mon travail, ou suis-je en mode « survie » ?Â
Ces questions ne cherchent pas à juger, mais à éclairer. Elles permettent de repérer les zones de tension et d'ouvrir des espaces de réajustement.Â
Créer des espaces de paroleÂ
La prévention passe aussi par le collectif. Dans un environnement professionnel, il est essentiel de créer des espaces où l'on peut parler librement :Â
- Groupes de parole entre expatriés. Â
- Séances de coaching ou de supervision. Â
- Moments informels d'échange avec les collègues. Â
Ces espaces permettent de normaliser les ressentis, de partager les stratégies d'adaptation et de renforcer le sentiment d'appartenance.Â
Le rôle de l'entrepriseÂ
Les organisations ont un rôle clé à jouer. Elles peuvent :Â
- Proposer des formations interculturelles. Â
- Mettre en place des dispositifs d'écoute. Â
- Valoriser la diversité des parcours. Â
- Encourager une culture du feedback bienveillant. Â
Une entreprise qui prend soin de ses expatriés favorise leur engagement, leur performance, mais surtout leur bien-être.
Conclusion : travailler à l'étranger, c'est aussi travailler sur soiÂ
L'expatriation professionnelle est une expérience riche, mais exigeante. Elle ne se résume pas à un poste prestigieux ou à une aventure exotique. Elle implique une transformation intérieure, une adaptation constante et parfois une remise en question silencieuse.Â
Prévenir la souffrance, c'est reconnaître cette complexité et offrir des outils pour l'accompagner. C'est aussi accepter que l'on peut être compétent… tout en ayant besoin de soutien. Â
Et si prendre soin de soi devenait une compétence professionnelle à part entière ?