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Pourquoi l'expatriation change plus qu'on ne le pense

homme a l'aéroport
traimakivan / Envato Elements
Écrit parElodie Sengle 15 Septembre 2025

S'expatrier est souvent présenté comme une expérience enthousiasmante : découvrir un nouveau pays, s'immerger dans une autre culture, élargir ses horizons. Mais au-delà des paysages et des rencontres, l'expatriation ne se limiterait pas à un déplacement géographique.  Elle viendrait aussi toucher quelque chose de profond en chacun, ouvrant un véritable voyage intérieur, bousculant parfois nos certitudes, nos habitudes et notre identité.  Derrière la promesse d'ouverture au monde se cacherait une transformation plus intime : un voyage intérieur, qui pourrait révéler autant de fragilités que de ressources insoupçonnées.

Une expérience singulière pour chacun

Chaque expatriation est unique et chacun la vit à sa manière. Certains la vivent comme un souffle de liberté, une opportunité d'apprendre, de se réinventer, d'oser autrement. Pour d'autres, elle réveille des émotions plus complexes : solitude, perte de repères, nostalgie d'un quotidien familier. Dans tous les cas, l'expatriation marque un tournant : on ne reviendrait jamais tout à fait le même de cette traversée, car ce déplacement extérieur entraînerait une transformation intérieure.

À différentes étapes de cette aventure, des ressentis contrastés peuvent apparaitre, et il est précieux de les reconnaître pour mieux les traverser.

Avant le départ : entre excitation et appréhension

Les mois qui précèdent le départ sont souvent chargés d'ambivalence. L'euphorie de l'aventure à venir se mêle à la peur de l'inconnu. Les démarches administratives, la logistique, l'annonce à l'entourage créent une tension parfois sous-estimée. On se projette dans une vie nouvelle tout en faisant ses adieux à celle que l'on quitte.

C'est aussi une étape de deuil symbolique : celui d'un quartier, d'amitiés quotidiennes, d'une langue maternelle omniprésente. Derrière l'énergie de la préparation, certains ressentent déjà une première fissure intérieure : « Et si je n'étais pas prêt ? », « Et si je n'arrivais pas à m'adapter ? ».

L'installation : l'épreuve du réel

Une fois sur place, l'excitation des débuts laisse vite place à la confrontation au quotidien. Apprendre à se déplacer, trouver un logement, gérer les démarches locales, parfois dans une langue inconnue… Cette phase demande une énergie considérable.

La fatigue émotionnelle est fréquente : chaque geste banal – prendre un bus, faire ses courses, téléphoner à une administration – devient une montagne. Cette vulnérabilité peut générer de l'impatience, des tensions dans le couple ou un sentiment d'isolement.

Le fameux « blues de l'expatrié » surgit souvent ici : une nostalgie diffuse, la sensation de n'être ni vraiment d'ici, ni tout à fait resté là-bas. C'est un passage difficile, mais aussi une étape de construction : peu à peu, de nouveaux repères se créent.

Pendant l'expatriation : les défis de la durée

Après les premiers mois d'adaptation, une forme de routine s'installe. Mais vivre à l'étranger sur le long terme comporte ses propres épreuves. La distance avec les proches restés au pays se fait sentir dans la durée : anniversaires manqués, événements familiaux auxquels on ne peut assister, sentiment d'être « absent » de la vie des siens.

Les amitiés tissées sur place, souvent intenses, sont parfois fragiles car rythmées par les départs réguliers d'autres expatriés. Ce va-et-vient constant peut raviver un sentiment de précarité relationnelle.

Sur le plan professionnel, lancer ou poursuivre une activité dans un environnement étranger demande beaucoup d'énergie : comprendre le marché local, s'adapter aux différences culturelles, accepter de repartir parfois de zéro. À cela s'ajoute la confrontation à des normes sociales et administratives qui peuvent sembler déroutantes.

Ces difficultés rappellent que l'expatriation est un processus mouvant, qui exige de s'ajuster en permanence à un équilibre souvent fragile entre découverte, adaptation et manque.

Le retour : un arrachement inattendu

On croit souvent que le retour « à la maison » sera simple. Pourtant, il constitue une nouvelle expatriation à l'envers. Retrouver son pays d'origine peut provoquer une surprise douloureuse : les choses ont changé, les proches aussi… et soi-même encore davantage.

Certains vivent un choc inversé : décalage culturel, sentiment d'être devenu étranger dans son propre pays, nostalgie du pays quitté. Cette étape révèle à quel point l'expatriation transforme durablement le regard que l'on porte sur soi et sur le monde.

Quand le déplacement extérieur résonne à l'intérieur

D'un point de vue psychanalytique, l'expatriation ne se réduirait pas à un simple changement de décor. Elle toucherait à l'identité profonde du sujet. Quitter son pays d'origine reviendrait à se séparer d'un univers familier qui nous a construits – une langue, des paysages, des habitudes, mais aussi des repères symboliques et affectifs. Ce déracinement pourrait réactiver, parfois inconsciemment, des expériences précoces liées à la séparation, à l'attachement ou à la perte. Dans le même temps, il ouvrirait la possibilité de se réinventer et de trouver en soi de nouvelles ressources.

L'expatriation comme miroir

Vivre à l'étranger agirait comme un miroir. On se découvre « étranger », parfois vulnérable, obligé de réapprendre certains gestes simples ou de s'exprimer avec des mots qui ne sont pas les siens. La difficulté avec la langue pourrait réveiller des souvenirs liés à l'enfance ou à la timidité. La nostalgie d'un plat, d'un rituel ou d'un paysage rappellerait la force de nos racines familiales. Le sentiment d'être « entre deux mondes » – ni totalement d'ici, ni totalement de là-bas – viendrait questionner en profondeur notre identité et notre sentiment d'appartenance.

Une histoire familiale en mouvement

L'expatriation résonnerait aussi dans l'histoire familiale et intergénérationnelle. Elle pourrait réactiver des loyautés invisibles : accomplir les rêves non réalisés de ses parents, ou au contraire chercher à s'en affranchir. Elle pourrait également réveiller de la culpabilité vis-à-vis de ceux qui restent, ou un sentiment de soulagement face à un héritage trop lourd. Pour les couples et les enfants, elle redistribuerait souvent les places et les rôles, révélant à la fois de nouvelles forces et certaines fragilités.

Transformer ces bouleversements en ressources

Ces mouvements intérieurs, loin d'être des obstacles, seraient en réalité des révélateurs. Ils inviteraient à explorer ce qui se joue en soi et à accueillir ces bouleversements comme une opportunité de croissance personnelle. Dans les moments où « tout est bousculé à l'intérieur », pouvoir en parler offrirait un espace de clarté et de continuité.

L'expatriation transforme toujours plus qu'on ne le pense. Elle bouscule, elle fragilise, mais elle enrichit aussi. C'est une expérience qui agit comme un miroir de nos vulnérabilités et de nos ressources. Savoir accueillir ces bouleversements, leur donner sens et, lorsque c'est nécessaire, se faire accompagner dans ce cheminement, permet de transformer cette aventure en une véritable ressource pour soi et pour sa famille.

Vie quotidienne
A propos de

Praticienne en psychologie d’orientation psychanalytique, Elodie Seng est spécialisée dans l’accompagnement des expatriés, enfants comme adultes. Son accompagnement repose sur une approche intégrative, c’est-à-dire qu’elle adapte ses outils et références thérapeutiques en fonction de chaque personne. Cette méthode lui permet de mobiliser différentes approches afin de proposer un espace sur mesure, centré sur les besoins de chaque personne, son rythme et sa singularité dans un cadre confidentiel et bienveillant.

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