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Roberta Maretti : résilience et appartenance en expatriation

Roberta Maretti
Écrit parVeedushi Ble 12 Septembre 2025

S'expatrier ne consiste pas seulement à changer d'adresse : c'est aussi se réinventer, apprendre à redéfinir son identité, s'ouvrir à de nouveaux horizons et apprendre à trouver un « chez-soi » partout où l'on vit. Pour Roberta Maretti, auteure de Where the World Took Me, l'aventure a commencé à l'adolescence à Tokyo et s'est rapidement transformée en un parcours de vie jalonné de continents, de cultures et de multiples renaissances. Entre l'éducation de ses enfants en Asie et dans les Caraïbes, puis son retour en Europe après de longues années à l'étranger, son histoire est marquée par la curiosité, la force intérieure et la quête de repères. Dans cet entretien, elle revient sur les défis et les richesses d'une vie nomade, les amitiés et les saveurs qui l'ont accompagnée, et les leçons qu'elle espère transmettre à d'autres expatriés en quête de leur propre chemin.

Vous avez vécu dans de nombreux pays, de l'Italie à l'Asie en passant par les Caraïbes. Pouvez-vous nous replonger dans votre toute première expérience d'expatriée ? Qu'est-ce qui vous a poussée à partir et comment cela a-t-il façonné votre vision du monde ?

Ma toute première expérience a eu lieu à Tokyo, j'avais alors 14 ans. Comme j'y ai déménagé avec ma famille, je n'ai pas eu à gérer les aspects pratiques du quotidien : chercher une école, trouver un logement ou un médecin. Mon défi, à cet âge-là, c'était surtout de m'intégrer dans un nouvel environnement scolaire, de me faire des amis et de découvrir un monde totalement différent.

Mon premier départ en autonomie est arrivé plus tard, à Manchester, lorsque j'ai commencé à travailler. C'est là que j'ai rencontré mon ex-mari et que nous avons ensemble entamé une vie faite de déménagements autour du globe. Ce qui m'attirait à l'étranger, c'était un mélange de curiosité et d'opportunités : apprendre dans de nouveaux contextes, rencontrer des gens d'autres cultures, continuer à découvrir ce que la vie pouvait m'offrir.

J'avais déjà quitté l'Italie à 7 ans et continué à bouger tous les 3 ou 4 ans. Le changement est donc devenu ma normalité. Je n'ai jamais eu le sentiment de « m'installer » durablement. Cette vie d'expatriée m'a façonnée bien au-delà de ce que j'imaginais : elle m'a appris à m'adapter vite, à écouter plus qu'à parler et à comprendre qu'un foyer n'est pas un lieu unique, mais l'espace que l'on crée soi-même.

Chaque expatriation apporte son lot de défis. Y a-t-il un pays où l'adaptation a été particulièrement difficile ?

Le premier pays où j'ai réellement peiné à m'adapter a été la Chine. J'ai vécu dans trois villes différentes en six ans et, à chaque fois, j'ai dû surmonter de nouveaux obstacles. La Chine est un pays magnifique et fascinant, mais y vivre n'a rien à voir avec une simple visite touristique. Au-delà des normes culturelles et des codes du travail, j'ai dû m'habituer au climat, en particulier à la pollution. Au début, je m'en accommodais. Mais quand je suis devenue maman, la santé de mes enfants est devenue ma priorité absolue, et le smog permanent est devenu une véritable angoisse.

Paradoxalement, l'adaptation la plus difficile a eu lieu à mon retour à Bruxelles, après tant d'années passées en Asie. Je pensais que rentrer « chez moi » en Europe serait simple, d'autant que ma famille y vivait. Mais après avoir goûté au rythme, à la nourriture et au climat de Singapour, de la Malaisie et du Japon, le retour en Belgique a été un choc : redécouvrir les quatre saisons, inscrire mes enfants dans un système scolaire totalement nouveau et, surtout, repartir à zéro en tant que mère célibataire. C'était une autre forme de choc culturel : non pas entrer dans l'inconnu, mais revoir un lieu familier avec des yeux complètement transformés.

Vous avez élevé vos enfants dans plusieurs pays. Quels sont, selon vous, les plus grands cadeaux et les plus grands défis de l'éducation des « enfants de troisième culture » ?

Le plus grand cadeau est sans doute leur ouverture d'esprit. Mes enfants ont grandi en respectant d'autres cultures, en goûtant des plats que la plupart des enfants auraient refusés et en parlant plusieurs langues. Ils sont devenus flexibles et résistants : des qualités précieuses pour la vie. Ils ont aussi attrapé le « virus du départ » ! Aujourd'hui jeunes adultes, ils évoquent déjà l'idée de s'installer ailleurs une fois leurs études terminées et rêvent de parcourir le monde. Une vie sédentaire ne les attire pas encore. Peut-être qu'un jour ils voudront s'ancrer quelque part, mais pour l'instant, ils marchent sur mes traces.

Le plus grand défi, en revanche, a été la répétition des adieux. Chaque départ signifiait laisser derrière soi des amis, des habitudes, des repères. En tant que maman, voir mes enfants traverser ces séparations douloureuses m'a brisé le cœur. Mais cela m'a aussi permis de leur apprendre à vivre le changement, à faire le deuil de ce qui était perdu et à accueillir ce qui venait. Je suis convaincue que ces leçons les accompagneront toujours et qu'un jour, peut-être, ils les transmettront à leurs propres enfants.

Comment avez-vous créé un sentiment d'appartenance à chaque nouveau pays ?

Pour nous, cela commençait toujours à la maison. J'ai essayé de faire de notre intérieur, où que nous soyons, un espace familier et rassurant pour les enfants. Puis venait l'école : c'était essentiel pour qu'ils s'intègrent vite. Mais il fallait aussi un réseau de soutien, surtout entre mamans. Dans chaque nouvelle ville, ma priorité était de me rapprocher d'autres mères expatriées. Ces groupes, formels ou non, ont été notre bouée de sauvetage. Nous nous retrouvions avec nos enfants, nous nous soutenions mutuellement, et nous compensions l'absence des maris, souvent absorbés par leur travail. Ces amitiés nous ont aidés à traverser la solitude et à trouver la force de nous adapter.

La nourriture a aussi joué un rôle majeur. Apprendre à cuisiner les plats locaux, fréquenter les hawker centers à Singapour, déguster des raviolis en Chine ou savourer l'asopao à Porto Rico — toutes ces expériences nous ont enracinés et créaient des ponts vers la culture locale.

Et bien sûr, explorer la ville et le pays était indispensable. Rencontrer les habitants, comprendre leurs traditions, respecter leur mode de vie nous a permis de nous intégrer réellement. Je me suis toujours rappelé, et j'ai rappelé à mes enfants, que nous étions invités dans leur pays. Pour moi, appartenir signifiait s'adapter dans le respect et l'ouverture.

Votre nouveau livre, Where the World Took Me, retrace des décennies d'expériences. Qu'est-ce qui vous a décidé à écrire maintenant ?

L'idée me trottait dans la tête depuis des années, mais je me disais : « Qui voudrait lire mes histoires ? » Puis, durant une période plus calme, j'ai commencé à écrire de petits souvenirs, presque comme un journal intime. Et j'ai réalisé à quel point cela me rendait heureuse. Plus j'écrivais, plus je voyais que ces récits n'étaient pas seulement les miens. Ils portaient des leçons sur la résilience, l'amitié, la gastronomie et la beauté des cultures. J'ai eu envie de partager cela avec d'autres — des expatriés qui pourraient s'y reconnaître, ou des lecteurs désireux de voyager par les mots.

Comment avez-vous choisi les histoires à inclure, compte tenu de la richesse de votre parcours ?

Ce fut difficile ! J'ai retenu celles qui restaient gravées dans ma mémoire, celles dont je pouvais encore sentir le goût, l'odeur ou l'émotion, même des années plus tard. Certaines étaient drôles, d'autres douloureuses ou émouvantes, mais ensemble elles dessinent un tableau honnête de la vie à l'étranger. Je voulais aussi un équilibre : parler de nourriture, de rencontres, de vie quotidienne, de difficultés et de petits bonheurs. Je ne voulais pas que ce soit uniquement un récit de voyage mais bien une plongée dans l'expérience humaine de la vie entre plusieurs cultures.

Dans votre livre, vous parlez de nourriture, d'amitiés et de résilience. Pouvez-vous partager un souvenir culinaire qui vous ramène instantanément dans un pays ?

Il y en a tellement ! Un bol fumant de ramen à Tokyo, un petit déjeuner épicé en Malaisie avec dosa, noix de coco et pommes de terre… Rien qu'à l'évoquer, j'ai faim !

Mais celui qui m'emporte immédiatement, ce sont les raviolis chinois grillés au porc. Je les revois encore alignés dans la poêle, la vapeur s'échappant tandis que le dessous devenait doré et croustillant, alors que le dessus restait moelleux. L'odeur seule suffisait à me rendre impatiente — ce mélange de pâte, de porc et d'huile de sésame. Et la première bouchée ? Un pur délice. Juteux, parfumés, croustillants en bas et tendres au-dessus. Impossible de n'en manger qu'un. Ces raviolis n'étaient pas seulement un plat, c'était un réconfort, le goût même de la Chine dans une bouchée.

L'amitié occupe une place essentielle dans la vie d'expatrié. Qu'avez-vous appris sur la création de liens durables malgré les départs fréquents ?

J'ai appris à m'ouvrir rapidement. En expatriation, on n'a pas des années pour nouer des liens. Il faut aller à la rencontre des autres sans attendre, sinon l'occasion passe. Certaines de mes amitiés les plus profondes sont nées de ces moments intenses partagés dans un contexte nouveau. J'ai aussi appris à laisser partir sans amertume. Les gens entrent et sortent de notre vie, mais cela n'enlève rien à ce qu'on a partagé. Certains amis sont toujours là, des décennies plus tard ; d'autres restent dans mon cœur.

Vous évoquez la résilience comme un fil conducteur. Pouvez-vous nous parler d'un moment où vous avez dû vous réinventer ?

Le retour à Bruxelles après mon divorce a été ce moment. J'ai dû tout reconstruire : trouver un logement, accompagner mes enfants dans une nouvelle langue et un nouveau système scolaire, et assurer seule nos besoins financiers. C'est alors que j'ai décidé, avec mon frère, d'ouvrir une gelateria. Je connaissais peu ce domaine, mais cela m'a apporté à la fois une stabilité et un but. Se réinventer n'est pas simple, mais c'est possible lorsque l'amour et la nécessité vous poussent en avant.

Après tant d'années dans des cultures différentes, comment définissez-vous aujourd'hui votre identité ?

Mon identité est devenue un mélange. Je reste Italienne de cœur, mais j'ai été façonnée par l'Asie, par Porto Rico, et aujourd'hui par la Belgique. Je n'ai plus le sentiment d'appartenir entièrement à un lieu unique : je porte en moi des fragments de plusieurs cultures. Cela m'a rendue plus empathique, plus souple, moins attachée à des définitions rigides du « chez-soi ». Mon identité est davantage liée aux personnes et aux valeurs qu'à une géographie.

Beaucoup d'expatriés se reconnaîtront dans votre parcours. Quel conseil donneriez-vous à quelqu'un qui commence sa vie à l'étranger ?

Soyez curieux, restez humbles et indulgents envers vous-mêmes. Vous ferez des erreurs, vous aurez des moments de solitude, vous aurez le mal du pays. C'est normal. Mais chaque lieu a quelque chose à vous apprendre, et si vous restez ouverts, vous en retirerez toujours plus que ce que vous perdez. Et surtout : acceptez que les jours difficiles fassent partie du chemin. Ils ne signifient pas que vous échouez, seulement que vous êtes humain.

Si vous deviez résumer le message central de votre livre pour les expatriés et les familles nomades, quel serait-il ?

Que vous êtes plus forts que vous ne le croyez, et que la joie se cache dans les choses les plus simples : un repas partagé, un voisin bienveillant, une fête locale, une vue depuis votre fenêtre. La vie à l'étranger n'est pas toujours glamour, mais elle est toujours enrichissante. Même lorsqu'on se sent étranger, on construit des souvenirs et une résilience qui restent pour toujours.

Vous sentez-vous prête à vous poser définitivement, ou l'appel de l'international est-il toujours présent ?

Aujourd'hui, je me sens enracinée à Bruxelles : mes enfants sont jeunes adultes, ma gelateria est ici, et ensemble nous avons bâti une vie stable. Mais je ne peux ignorer cette petite voix qui me dit que le changement approche. J'éprouve l'envie de repartir, cette fois loin de l'agitation de la ville.

Peut-être est-ce l'âge, ou simplement le rythme de toute une vie nomade, mais je me surprends à rêver d'océan, d'un coin paisible sur la côte portugaise, où le temps ralentit, où le stress se dissipe, et où la paix se trouve dans le bruit des vagues.

Je crois que l'esprit international ne nous quitte jamais quand on l'a vécu. Il devient une partie intégrante de nous-mêmes. Que je reparte ou non, je sais que je porte désormais le monde en moi. Et cet esprit continuera à guider ma manière de vivre.

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A propos de

Détentrice d'un diplôme approfondi de langue française, j'ai été journaliste à Maurice pendant 6 ans. Je compte une douzaine d'années d'expérience en tant que rédactrice web bilingue à ÍæÅ¼½ã½ã, dont cinq au poste d'assistante éditoriale. Avant de rejoindre l'équipe d'ÍæÅ¼½ã½ã, j'ai occupé le poste de journaliste/reporter au sein de plusieurs rédactions mauriciennes. Mon expérience de plus de 6 ans dans la presse mauricienne m'a permis de côtoyer plusieurs personnalités et de couvrir de nombreux événements sur différentes thématiques.

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