
Dans un monde post-pandémique marqué par l'incertitude économique, les candidats à l'expatriation se font de plus en plus nombreux. Si le vœu reste non exaucé pour une partie d'entre eux, il se concrétise pour les autres. Mais la vie à l'étranger n'est pas une vie idéalisée. Les expats qui témoignent en sont bien conscients. C'est à force de persévérance qu'ils ont réussi à trouver leur place à l'étranger.
Tout plaquer pour vivre à l'étranger : ils l'ont fait
Ils sont chefs d'entreprise, ingénieurs, pâtissiers, pharmaciens, médecins, agriculteurs, organisateurs de voyages, managers… L'expatriation, ils en rêvent depuis des années ou depuis deux jours. Que le projet ait été pensé de longue date ou leur soit « tombé dessus », ils ont réussi à trouver leur place à l'étranger. Une place loin d'être simple à obtenir. Un expat au Royaume-Uni parle de « grosses galères pour les papiers ». Galères accentuées par le fait qu'il ne parlait « pas un mot d'anglais ».
D'autres ont vécu de très forts chocs culturels, en découvrant un État à la culture très éloignée de la leur. « J'ai testé le nomadisme numérique au Brésil », confie un expat. « Une catastrophe. Pas « à cause » du pays, mais à cause de moi. Je n'étais pas assez préparé. Et j'ai réalisé que ce mode d'expatriation n'est pas fait pour moi. Je suis retourné au Brésil, mais avec un projet pro bien ficelé. J'ai fini par monter mon entreprise. »
Le contexte géopolitique motive un grand nombre de travailleurs à tenter l'aventure à l'étranger. « On parle de crise depuis des années. Ça n'en finit pas », constate une salariée en marketing expatriée en Australie. « Je ne dis pas que l'herbe est plus verte en Australie. Je dis plutôt que quand on a un projet, mieux vaut le vivre pour ne pas avoir de regrets. Parfois, on a peur de foncer, car on a peur d'échouer. Quand tu intègres l'échec comme une étape dans ton parcours, ça te donne une motivation pour continuer de persévérer. »
Tout recommencer pour trouver sa place à l'étranger
L'échec reste néanmoins plus difficile à digérer lorsqu'il impacte toute la famille. « Je suis admiratif de tous les témoignages d'immigrés heureux et accomplis. Moi, j'ai eu une offre pour bosser dans une start-up canadienne. Mais j'ai une femme et deux enfants. Ma femme est médecin et n'aura aucun mal à retrouver un poste au Canada. Elle est pour le départ. Mais moi, j'ai déjà subi la faillite d'une start-up en France. Je fais quoi si je coule encore au Canada ? On vient d'acheter notre maison. Les enfants sont bien dans leur quartier et à l'école. Je ne sais pas si j'aurais la force de tout recommencer. Je suis d'un naturel anxieux… et en même temps, je voudrais bien tenter l'aventure. »
Difficile de sauter le pas. Les bagages pèsent souvent bien lourd, quand il s'agit d'expatriation. Mais ceux qui ont voyagé ne regrettent rien, même lorsque l'aventure a tourné court. « Je suis rentré, car ma famille me manquait trop. » « Après la Covid, je n'ai pas réussi à retrouver mon poste. » « Nos enfants voulaient retourner étudier au pays. On les a suivis. » Que l'on rentre après quelques années ou que l'on poursuive sa vie à l'étranger, s'intégrer demande du temps. Rencontre avec deux expats qui ont réussi à trouver leur place à l'étranger.
François, étudiant ingénieur expatrié en France
Né au Congo-Kinshasa, François, 23 ans, n'avait jamais songé à s'expatrier. C'est lorsqu'il s'oriente vers des études d'ingénieur qu'il choisit d'étudier au Sénégal. C'est sa première expatriation. « L'école avait une excellente réputation. » L'étudiant découvre que l'école a des pôles dans d'autres pays, notamment au Canada, en Allemagne et en France. « On pouvait choisir de faire sa licence ou son master à l'étranger. » Mais l'expatrié hésite. « Je me voyais bien continuer de vivre à Dakar. Je parle bien wolof. J'avais mes amis, mes habitudes, et même un petit boulot en lien avec mes études. J'étais loin du pays, mais quand même plus proche que si j'allais en Europe ou en Amérique du Nord.»
Sa famille l'encourage néanmoins à revoir ses plans. « À l'époque (en 2023), c'était compliqué au pays. Nous étions épargnés, mais d'autres n'avaient pas cette chance. » Opposé à l'État congolais, le groupe rebelle Mouvement 23 (M23) a repris les armes depuis 2021, avec une offensive lancée en décembre 2024. Le 23 avril, le M23 et l'État congolais publient leur première déclaration conjointe en faveur d'une trêve. François opte finalement pour la France (Montpellier). « J'étais déjà venu en France, je connaissais un peu. Mais le contexte politique m'a vite refroidi. »
Trouver sa place à l'étranger, entre galères et espoirs
L'étudiant rencontre ses « premières galères ». Il ne trouve ni petit boulot ni alternance, malgré un CV riche. « C'est affreux de vivre sur ses économies. Au début, j'étais confiant, mais 8 mois plus tard, je déprimais. J'avais honte. Ma famille m'envoyait de l'argent, mais franchement, je voulais rentrer. Je ne trouvais pas ma place. J'avais l'impression que personne ne voulait de moi. »
Le pire arrive à la fin de l'année universitaire. François obtient d'excellents résultats, mais pour décrocher sa licence, il lui faut absolument une alternance. « Je savais que c'était dur d'en trouver, mais pas à ce point.  L'école m'aidait beaucoup, heureusement. Ils ont même dit que je pouvais « décaler » mon alternance en automne. On était plusieurs dans ce cas. »
François s'accroche et décroche un petit boulot. Mais il reçoit une obligation de quitter le territoire français (OQTF). « On pense que ça ne vise que les délinquants, mais il y a plein d'étrangers comme moi qui valident leurs examens, mais sont expulsés quand même. » L'expatrié peut heureusement compter sur son école, qui défend son cas. De son côté, il continue de postuler. « Je me suis dit que si personne ne me donne ma chance, moi, je vais me donner une chance. » Il décroche finalement l'alternance tant attendue, en novembre 2024. « Je pensais que ça allait éteindre automatiquement la procédure d'OQTF, mais l'administration française est une machine compliquée... » Loin de se décourager, l'étudiant se dit serein. « J'ai obtenu un récépissé qui m'autorise à rester. J'aurai bientôt mes papiers définitifs. Après tous ces déboires, hors de question d'abandonner ! Je sens que j'ai trouvé ma place. Mieux : je l'ai gagnée. »
Céline, cuisinière expatriée au Japon
Céline vit à Sendai (grande ville du nord de Honshu, la principale île japonaise) avec son mari et ses trois enfants. Elle a découvert le Japon grâce à plusieurs voyages. Mais elle n'imagine pas travailler en dehors de la Belgique. « Je suis très « famille ». Le Japon, c'était trop loin. » Mais elle tombe amoureuse, et du Japon, et de celui qui deviendra son mari. « C'est très cliché, mais ça s'est vraiment passé comme ça. J'avais 20 ans (en 2015). Je me suis dit « tu fais la plus grosse connerie de ta vie. Profites-en, t'es encore jeune. »
À l'époque, Céline est étudiante en informatique. « Rien à voir avec la cuisine, ma passion. Mais ma mère (ingénieure informatique) me disait toujours « je t'ai pas mise à l'école pour te trouver derrière les casseroles ! » donc bon... ». Kai (le mari de Céline) aussi était perdu dans ses études. On avait le même âge, on se comprenait bien. Il a tout laissé tomber. Moi, j'ai continué jusqu'au diplôme. Je me suis félicitée en m'offrant un voyage au Japon. On était juste amis avec Kai. On s'était rencontrés lors de mon premier voyage, quand j'avais 18 ans. Je m'étais paumée à la gare d'Ikebukuro (quartier tokyoïte). Il m'a aidée à retrouver ma sortie. C'était ça où je passais la nuit dans la station ! On est restés en contact... On parlait un mix de nos langues : moi, français, Kai, japonais, avec des mots d'anglais qui se baladaient de temps en temps. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé en 2015, mais je trouvais tout génial ! Les paysages, la nourriture japonaise, et Kai, bien sûr. Quand je suis rentrée en Belgique, j'ai dit à mes parents : je veux vivre au Japon !
Construire sa vie à l'étranger pas à pas
Au début, Céline n'a pas de plan précis. Elle ne parle pas japonais. La Belgique ne propose pas de Permis Vacances Travail (PVT) au Japon. « J'ai vraiment envié mes voisins français à ce moment-là  ! J'ai dû faire un visa étudiant.» Céline travaille 2 ans en Belgique, pour financer ses études. « J'étais sérieuse ! Pour parler avec Kai, fallait bien bosser. Et quitte à bosser, j'ai choisi une école avec possibilité d'aller dans une école de cuisine. Et Kai avait décroché un poste d'apprenti dans un resto à Sendai. » En 2017, Céline est de retour au Japon... définitivement.
Céline et Kai avancent pas à pas. « Je suis du genre aventurière. J'ai fait de grosses bourdes, bien sûr, mais ça fait aussi partie du jeu. J'ai décroché un baito (petit boulot) assez vite. J'ai eu mon diplôme, je suis entrée dans mon école de cuisine, et j'ai aussi eu mon diplôme. Avec Kai, on s'est dit que ce serait cool d'ouvrir notre resto, de mixer nos cultures. Et puis Covid est arrivé et tout est tombé à l'eau. On a fêté l'anniversaire de Kai comme deux pauvres cloches confinées. Je vous dis pas l'ambiance… mais on s'est quand même bien amusés ! Et puis heureusement, il y avait le net pour rester branchés à la famille. J'ai réalisé qu'on pouvait être loin et proches en même temps. »
Rebondir dans les difficultés
Durant le confinement, Céline met à profit ses connaissances en informatique pour peaufiner son projet professionnel. « On en a aussi profité pour se marier et mettre en route un premier gosse ! On avait le temps...» Céline remarque que dans leur quartier, beaucoup sont isolés, surtout les personnes âgées. « J'ai ouvert une sorte de mini réseau social. Mini, hein ! C'était plus comme un tchat. J'ai donné des cours à distance aux vieux du quartier. Mais beaucoup maîtrisaient déjà les bases. Avec le déconfinement, on s'est demandé comment on pouvait garder ça. On a pensé à un mix entre un resto, un salon de thé, un club de partage… un truc pour s'entraider, quoi. »
Le concept du restaurant prend forme. Céline s'investit pleinement dans ce projet, qui lui fait découvrir une nouvelle vie de famille. « L'isolement est un drame invisible. C'est vrai ici et dans plein d'autres pays. Si on peut faire quelque chose pour rassembler les gens autour d'un plat simple et bon, il ne faut pas hésiter. » La cuisinière engagée se sent parfaitement intégrée au Japon. « J'aime retourner en Belgique voir la famille. J'aime rester ici, au Japon. J'ai trouvé ma place. » Pourtant, la famille s'embarque dans un nouveau projet : reprendre le restaurant du grand-père de Kai, à Niigata (au nord de l'île de Honshu). « J'aime trop mon papi et ma famille japonaise ! Ça me fait mal de laisser notre resto solidaire, mais on le confie à nos associés, qui sont aussi du quartier. Les parents de Kai étaient un peu sceptiques, mais finalement, ils nous laissent faire. Ça va être génial. »